Pharmacie


Vase en opaline "Onguent de la mère Thécla"

Mere

Vase en opaline, 2ème moitié du      

  19ème siècle (style  Napoléon III)

 

 

Sainte Thècle fut considérée comme la première femme martyre et l'Église orthodoxe la vénère comme égale aux apôtres. Un grand nombre de soeurs prirent son nom en religion – à Medernach on se souvient de soeur Thècle née Jentgen, née à Strassen en 1854, morte en 1930 (Luxemburger Wort du 7.2.1930).

C'est ce que fit une tante du poète Jean Racine (né le 22 décembre 1639 à la Ferté-Milon, fils de Jean Racine, procureur au bailliage et de Jeanne Sconin). Le père avait une soeur aînée, née le 30 août 1627, qui prit le voile au Monastère de Port Royal en 1648, sous le nom de Agnés de Sainte-Thècle. Devenue abbesse le 6 août 1689 elle fut réélue à deux reprises; elle y mourut le 19 mai 1700. Cette tante joua un rôle dans l'éducation du futur écrivain, puisqu'elle l'incita en automne 1665 à aller à l'école des Granges pour les cours de grec et de latin. En 1656, Jean Racine, inspiré par la dispersion des solitaires et des persécutions, écrivit sa première élégie latine "Ad Christum" et composa un poème en l'honneur de Port Royal, "Sacrés Palais de l'Innocence". Cette tante serait-elle à l'origine d'un onguent? Que non!

 

Un mot sur la préparation de l'onguent

La formule existe dans la première Pharmacopée officielle de 1818 écrite en latin, "emplastrum fuscum vulgo unguentum Matris" encore appelé "onguent de la Mère Thècle" du nom de celle qui l'a mis au point:

   Huile d'olives  1 livre

   Axonge              8 onces

   Beurre               8 onces

    Suif                    8 onces

    Litharge        8 onces

    Cire jaune        6 onces

    Poix noire        1 ½ onces

 

"Cet emplâtre diffère de la plupart des autres, parce-que, formé à feu nu, sans le concours d'eau, le corps gras se charbonne et noircit. On fait chauffer des corps gras dans une grande bassine de cuivre. Quand ils fument, ce qui annonce un commencement d'altération, on y fait tomber la litharge pulvérisée à l'aide d'un tamis. Il s'opère une tuméfaction et un bouillonnement considérables dus principalement au dégagement de l'acide carbonique de la litharge. On continue à chauffer jusqu'à ce que la matière ait acquis une couleur brune foncée: on ajoute alors de la cire jaune et de la poix noire; on les fait fondre; on laisse refroidir l'emplâtre en partie et on le coule dans des moules" (Eugène Soubeiran, Nouveau traité de pharmacie théorique et pratique, Bruxelles 1837, vol.1 p. 140).

 

La coloration brune révèle une altération pyrogénée des corps gras. Un médicament fort utile "C'est un onguent fort employé pour activer les suppurations" (Apollinaire Bouchardat, Eléments de matière med́icale et de pharmacie, Paris 1839 p.112).

 

En fait les indications étaient multiples, allant des ulcères (avec des indications spécifiques selon que ceux-ci étaient superficiels, rongeants, sordides, sanieux, indolents, douloureux, d’origine néoplasique ou de décubitus), aux furoncles et plaies infectées, aux brûlures, en passant par les éphélides, les calvities, les engelures, les fistules anales …

 

Plusieurs noms: Unguentum lithargyri, ung. fuscum, ung. matris, Muttersalbe, L'expression "uterinus balsamus" utilisée Stieler dénote une profonde méconnaissance des origines réelles de l'onguent en associant mère et matrice!

 

Un onguent délaissé

La préparation est actuellement tombée dans une désuétude totale et cela pour trois raisons :

- la première tient au risque que font encourir toutes les préparations à base de sels de plomb. Le plomb est peu absorbé à travers une peau saine mais l’absorption n’est pas négligeable au travers d’une peau lésée, au niveau d’un ulcère ou d’une muqueuse. L’application sur les seins gercés au cours de l’allaitement a eu des conséquences dramatiques pour le nourrisson.

- la seconde raison est une efficacité insuffisante quand les sels de plomb ont été soumis à une évaluation moderne. Ils ont été avantageusement remplacés dans la pharmacopée dermatologique moderne par des composés plus efficaces et plus anodins (oxydes de zinc et de titane).

- la troisième raison est la fabrication qui pose problème. Il fallait que l’intérêt thérapeutique soit puissant car la préparation en était dangereuse, la matrice pouvant prendre feu lors du chauffage indispensable à sa bonne réalisation.

 

Qui est l'inventeur

"Il (l'onguent) était célèbre par le nom de son inventeur: la mère Thècle Racine, soeur (!) du grand poëte, religieuse à l'Hôtel-Dieu de Paris, en a, dit-on, trouvé la composition (Nouveau dictionnaire de la conversation; ou, Répertoire universel, Bruxelles 1843 p. 358).

Confusion des plus graves, puisqu'aux dires d'un expert, il y a avait "usurpation de titre et blâmable confusion" – c'est une toute autre religieuse l'inventeur de l'onguent:

"La mère Thècle de l'onguent était Cécilia BOISSET, nonne de l'Hôtel-Dieu, en religion soeur Sainte-Thècle, qui prononça ses voeux solennels le 28 juillet 1665, et mourut, pleine d'oeuvres et de jours, le 3 novembre 1714. Comment, certain soir, ayant à faire cuire un emplâtre, elle eut une fâcheuse distraction; comment elle laissa brûler la précieuse composition, et toute marrie, en dut battre sa coulpe aux pieds de la Révérende Mère Supérieure; comment cette dernière, soucieuse de ne rien laisser perdre, résolut d'employer nonobstant l'onguent calcifié; et comment Me Nicolas LEMBLIN, chirurgien de la maison, déclara n'avoir jamais usé d'un plus merveilleux topique, c'est ce que vous apprendrez dans une page charmante de M. Travaillé" (Paul Delaunay, Le mouvement historique, dans: Revue d'Histoire de la pharmacie Vol 23, 1935, p. 87).

https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1935_num_23_90_11021_t1_0085_0000_2 databordeaux.blob.core.windows.net/data/dref/museeaquitaine.xls

 

La pharmacie hospitalière

Le personnel pharmaceutique des pharmacies hospitalières a été pendant plusieurs siècles extrêmement limité en nombre. Une ou deux religieuses aidées ou non d'un garçon apothicaire. Les sœurs préparaient et distribuaient les remèdes aux malades. Elles effectuaient leurs achats de drogues simples auprès des maîtres apothicaires en ville, qui, à tour de rôle, fournissaient la matière première pour la fabrication de médicaments de facture simple, ou de médicaments complexes prêts pour l'emploi. 

Quelques bonnes soeurs étaient même innovatives: l'Hôpital de Bavière de Liège possède la recette d'un emplâtre agglutinatif inventé par une de ses soeurs hospitalières, dont le nom est oublié. Elle y était parvenue, après bien des essais, des tâtonnements et animée par le désir d'être utile aux malheureux. La composition de cet emplâtre, telle qu'elle a été insérée dans la pharmacopée de Liège, (..) dota l'officine d'un emplâtre remarquable qui fut une source de revenus pour cette maison de charité" (Alexis Thomas, Note sur l'emplâtre aggluitinatif de l'hôpital de Bavière, dans: Journal de Pharmacie publié par la Société de Pharmacie d'Anvers, Anvers 1845 p.261).

Le baume de la soeur Saint Germain, qui est toujours en vente (Laboratoires Colin), contient de l'oxyde de zinc.

A l'Hôtel-Dieu de Lyon des soeurs pharmaciennes vendaient au public extérieur des médicaments de leur fabrication – pas toujours des recettes patentées, mais une vente toujours lucrative.